Est-ce légal d’enfermer des enfants pour raisons migratoires ?

Oui, selon le droit belge, la détention de familles avec des enfants mineurs dans des centres fermés est possible sous certaines conditions.[1] Le droit européen n’interdit pas de manière formelle l’enfermement de familles avec enfants mineurs non plus.[2]

En Belgique, une personne sans séjour légale peut être détenue en centre fermé (sur base de la Loi des étrangers de 1980). Une personne peut être limitée dans ses mouvements lorsque :
- il ou elle n’obtient pas l’accès au territoire.
- il ou elle ne remplit pas les conditions d’accès au territoire et introduit une demande d’asile à la frontière.
- il ou elle ne remplit pas les conditions d’accès au territoire et introduit une demande d’asile sur le territoire.
- sa demande d’asile doit être traitée dans un autre pays européen en application du Règlement Dublin.
- il ou elle est présent∙e sur le territoire sans séjour légal.

La loi du 16 novembre 2011 « en ce qui concerne l’interdiction de détention d’enfants en centres fermés » ajoute l’article 74/9 à la loi de 1980 qui précise que :

« § 1. Une famille avec enfants mineurs [sans séjour régulier], n’est en principe pas placée dans [un centre fermé], à moins que celui-ci ne soit adapté aux besoins des familles avec enfants mineurs.
§ 2. La famille avec enfants mineurs qui tente de pénétrer [de manière irrégulière] dans le Royaume [...] peut, en vue de procéder à l’éloignement, être maintenue dans un lieu déterminé, adapté aux besoins des familles avec enfants mineurs et situé aux frontières, pour une durée aussi courte que possible [un centre fermé]
§ 3. La famille visée au § 1er a la possibilité de résider, sous certaines conditions, dans une habitation personnelle [...]. Si la famille est dans l’impossibilité de résider dans une habitation personnelle, elle se verra attribuer, dans les mêmes conditions, un lieu de résidence dans [une maison de retour], adapté aux besoins des familles avec enfants.

Pourtant, la détention d’enfants va à l’encontre du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce principe est inscrit non seulement dans la Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant, qui a été ratifiée par la Belgique, mais également dans notre Constitution. Selon ces textes, l’intérêt supérieur de l’enfant doit toujours primer dans toutes les décisions qu’un Etat prend concernant un enfant. Un grand nombre d’instances internationales ont déclaré que la détention va toujours à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant. (voir partie L'avis des experts?)

Paragraphe 1, de l'article 3 de la Convention relative aux Droits de lEnfant
Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.

Article 22bis de la Constitution Belge
Chaque enfant a droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle.
Chaque enfant a le droit de s’exprimer sur toute question qui le concerne ; son opinion est prise en considération, eu égard à son âge et à son discernement.
Chaque enfant a le droit de bénéficier des mesures et services qui concourent à son développement.
Dans toute décision qui le concerne, l'intérêt de l'enfant est pris en considération de manière primordiale.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a, à plusieurs reprises, jugé que le placement d’enfants dans des centres fermés constitue un traitement inhumain et dégradant, étant donné la vulnérabilité spécifique des enfants.[1] Une violation de l’article 3 de la Convention des Droits de l’Homme[2] a été constatée, sur base de trois facteurs : le bas âge des enfants, la durée de la détention et le caractère non adapté du centre de détention.

La Cour a notamment condamné la France en raison de la détention d’enfants dans un centre fermé dans lequel les conditions matérielles en soi ne constituaient pas un problème. Dans un cas, il s’agit d’un centre fermé qui se situait à proximité immédiate des pistes d’atterrissage d’un aéroport. La Cour a jugé que la détention d’un jeune enfant durant 7 jours, avec une exposition à des nuisances sonores importantes, a causé chez lui une accumulation d’agressions émotionnelles, avec des conséquences très négatives.[3]

Ce même raisonnement pourrait être appliqué par la CEDH pour la détention d’enfants dans le nouveau centre fermé pour familles en Belgique, qui a été construit juste à côté de la piste d’atterrissage de l’aéroport de Bruxelles. C'est d'ailleurs un des arguments retenus par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 4 avril qui suspend différents articles de l'arrêté royal qui permet la détention des enfants en Belgique.

Il est donc important de préciser qu'en ce moment, en l'absence d'un Arrêté Royal qui permet d'appliquer la loi qui autorise la détention de familles avec enfants en Belgique, notre pays ne peut détenir d'enfants dans le centre prévu à cet effet.


[1] EHRM, Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga vs Belgique, 12 octobre 2006, 13178/03 ; Muskhadzhiyeva e.a. vs Belgique, 19 janvier 2010, 41442/07 ; Kanagaratnam e.a. vs Belgique, 13 décembre 2011, 15297/09; Popov vs France, 19 janvier 2012, 39472/07 et 39474/07 ; Rahimi vs Grèce, 5 avril 2011, 30696/06 ; R.M. e.a. vs France, 12 juillet 2016, 33201/11; A.B. e.a. vs France, 12 juillet 2016, 11593/12; A.M. e.a. vs France, 12 juillet 2016, 24587/12; R.C. e.a. vs France, 12 juillet 2016, 76491/14; R.K. e.a. vs France, 12 juillet 2016, 68264/14.
[2] Article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme concernant l’interdiction des tortures et des traitements inhumains ou dégradants
[3] R.M. e.a. vs France, 12 juillet 2016, 33201/11, §§73-76.

 

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